THOMAS CLAY : « LA JUSTICE EST REDEVENUE INDÉPENDANTE. »

(Entretien mené et filmé pour RAGEMAG le 1er juillet 2013 – images et montage : Victor Moati)

Premier juriste à avoir dénoncé la procédure d’arbitrage, dont il est un spécialiste incontesté, dans l’affaire Tapie, Thomas Clay, professeur de droit, vice président et vice doyen de l’université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines est aussi l’auteur remarqué du livre Les lois du sarkozysme. Happé par les médias pour commenter les rebondissements quotidiens de l’affaire, il a choisi RAGEMAG pour se confier plus en longueur sur son livre et l’actualité judiciaire.

 

La thèse défendue par votre livre considère que le sarkozysme ne relève pas d’un fonctionnement pragmatique, opportuniste et d’un désordre impressionniste, mais bien d’une idéologie structurée visant à détruire le pacte républicain, fondé sur les lois Clemenceau et le programme du CNR. De quelle idéologie s’agirait-il ?

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La présentation que vous faites correspond très exactement au propos du livre. Sous couvert d’un impressionnisme de surface, d’une politique par foucades, on constate qu’il y a une pensée politique extrêmement sophistiquée et construite, porteuse d’une idéologie de fond qui a pour but d’acculturer la France, de la couper de ses racines républicaines, qui ne sont d’ailleurs ni de droite ni de gauche, et qui sont nées dans ces deux périodes particulièrement fécondes de la République. La période Clemenceau, avec les lois allant de 1905 à 1907, et puis celle des acquis du programme du CNR qui a structuré les principes républicains tels que nous les connaissons aujourd’hui. Ma thèse est qu’il y a eu une tentative de destruction méthodique, très savamment orchestrée, très minutieusement organisée de ces acquis et valeurs.

D’accord, mais sur le fondement de quelle idéologie ?

L’objectif était de remplacer le pacte républicain par d’autres référents culturels, essentiellement inspirés du néo-conservatisme américain, tel qu’il a été conçu et compris ici, ce qui à mon avis a ouvert la voie à une erreur d’interprétation par l’équipe Sarkozy. Cette idéologie on peut la résumer par une idéologie pragmatique fondée sur la réussite personnelle, sur la démonstration de sa richesse pécuniaire, bref, d’un ensemble très éloigné de ce que sont les valeurs de la république à la française. Si je devais résumer cette idéologie par une formule, je dirais que c’est la revanche des banquiers d’affaire sur l’aristocratie républicaine à la française.

« Si je devais résumer cette idéologie par une formule, je dirais que c’est la revanche des banquiers d’affaire sur l’aristocratie républicaine à la française. »

Donc, ce sont les héritiers du parti gaulliste qui auraient soldé le gaullisme ? Vous citez d’ailleurs cette phrase de Denis Kessler, parue dans Challenges le 4 octobre 2007, à la fois idéologue du Medef et de l’UMP, qui semblerait accréditer cette thèse : « La liste des réformes ? C’est simple, prenez tout ce qui a été mis en place entre 1944 et 1952, sans exception. Elle est là. Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945 et de défaire méthodiquement le programme du Conseil National de la Résistance. »

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Ce que vous pointez là est exactement le sujet. Il y a un subterfuge, une entourloupe, entre le programme pour lequel le candidat Sarkozy a été élu et celui qu’il va appliquer. Il n’a jamais dit qu’il allait s’en prendre aux fondements républicains de la France et encore moins aux bases du gaullisme. Il a même prétendu le contraire. Et ça n’a d’ailleurs pas marché précisément parce qu’il n’a pas appliqué son programme sur ce point. Il faut quand même rappeler que Nicolas Sarkozy, durant toute la durée de son quinquennat a perdu toutes les élections, y compris avec la déroute historique des sénatoriales. Ça montre bien que sa tentative de greffer une culture qui n’était pas la nôtre, n’a pas fonctionné, en dépit d’un bombardement médiatique et d’une agitation permanente. Ce que François Hollande a nommé « Le coup d’éclat permanent », dans une formule très référencée.

Ce serait donc, à travers Nicolas Sarkozy, le fait d’une bande d’idéologues, ou le reflet de la transformation de la société ? Parce que cela pourrait se comprendre de vouloir solder une période qui ne correspond plus aux réalités d’aujourd’hui ?

Sacrée question (sourire…). Ce que je pense c’est qu’aucun texte n’est tabou, y compris les textes constitutionnels qui peuvent être adaptés. Mais il faut avoir été élu pour ça. Ce n’est pas du tout ce qui était dans la campagne de 2007 et c’est pourtant ce qui a été tenté… D’où ce décalage et cette incompréhension croissante avec les français… Incompréhension croissante qui s’est manifestée avec un petit temps de retard. Parce que les premières atteintes au pacte républicain datent de 2007, mais il aura fallu l’affaire emblématique de la tentative de nomination de son fils à la tête de l’EPAD, pour atteindre le point de non retour dans le quinquennat. Pour qu’on voit qu’il ne s’agissait pas d’une politique du mérite, mais d’une politique népotique.

Vous décrivez deux processus extrêmement subtils pour arriver à cette transformation des valeurs nées de l’époque Clemenceau : d’une part, attaquer un principe au service d’une loi ou d’un procédé en dissimulant ses intentions par une diversion lexicale ou événementielle ; d’autre part, vider les institutions des moyens qu’elles ont de faire appliquer les lois.

Oui. Il y a d’abord la volonté de déstabiliser. Le débat sur l’identité nationale en est le meilleur exemple. Personne ne remettait en cause l’identité nationale et tout à coup, on la met en débat. Et si on la met en débat, on la fragilise, pour, au terme de ce débat, arriver à des solution qui sont dérisoires. C’est-à-dire l’accrochage des drapeaux sur les bâtiments publics, ce qui était déjà le cas, et l’affichage de la Déclaration des Droits de l’Homme dans les établissements scolaires, je crois. Donc, un grand débat… Vous vous souvenez de ce traumatisme ? Ça a duré 6 mois. Il y a eu tout l’amalgame avec l’immigration qui a été sciemment orchestré. Donc, un tel débat, pour ne parvenir à rien sur le plan concret. Alors pourquoi ? Parce que derrière il y a la volonté politique d’affaiblir l’identité nationale à la française, dont les concepts républicains importants de ces deux périodes dont je vous parlais tout à l’heure, sont évidemment les composantes essentielles. C’est le bon exemple de l’écran de fumée qui n’aboutira à rien, dont l’objectif réel est de fragiliser des concepts fondamentaux.

L’autre exemple, c’est le débat sur la laïcité. Quand on nous dit soudainement que le curé a plus à apprendre aux enfants que l’instituteur, c’est évidemment une attaque violente contre la laïcité républicaine à la française et contre l’école laïque, de manière plus précise. On jette un pavé dans la mare. Ça crée immédiatement des réactions, mais, de manière beaucoup plus discrète, on augmente le budget des instituts catholiques et on leur permet surtout de délivrer des diplômes, qu’on appelle profanes, c’est à dire les mêmes diplômes que délivrent les universités. Donc on crée une concurrence au sein même de l’enseignement supérieur en renforçant les établissements privés catholiques au détriment des établissements publics. Voilà deux exemples d’un écran de fumée derrière lequel se glissent des réformes que je trouve inacceptables.

Vous attribuez au sarkozysme une volonté de dissimulation, voire d’occultation, du sens réel des lois qu’il a mis en œuvre.

Je pense d’abord qu’on a sous-estimé la force idéologique de l’équipe de Sarkozy. Je ne sais pas si c’était directement lui qui était à la manœuvre, mais je me suis convaincu de cette force, encore une fois, à la lecture de toutes ces lois votées dans ce quinquennat, dans une sorte de prurit législatif, qui est devenu impossible à suivre. Et je vous rappelle que notre démocratie repose sur un principe simple, c’est que « nul n’est censé ignorer la loi ». Or, tout le monde ignore ces lois puisqu’elles sont innombrables et ont changé en permanence.

Tout ça n’est pas le fruit du hasard. Il y a eu un certain nombre d’acteurs qui ont travaillé, raisonné à la manière de faire accepter ces textes. Et la manière de le faire, c’est parfois d’avoir des intitulés qui vont égarer les gens et affaiblir les principes auxquels les gens sont très attachés. On pourrait prendre aussi la réforme hospitalière. C’est une loi qui fait 47 pages du Journal Officiel, je crois. Je mets au défi, non pas un homme normalement constitué, mais un juriste normalement constitué de lire ce type de loi : c’est absolument indigeste. Et en plus ça fonctionne par renvois et on ne peut s’y retrouver. Donc, il y a une volonté d’occultation manifeste.

Pour expliquer la présentation de ces lois, et notamment le « travailler plus pour gagner plus », vous dites qu’elle voudrait faire croire à la perspective « où le loup et l’agneau boivent paisiblement côte à côte à la même source pour se désaltérer plus ». Vous notez aussi un procédé conduisant à opérer des transferts de régulation de l’autorité publique vers le privé. Ça fait penser au Medef, estimant que c’est à lui de réguler les mœurs des chefs d’entreprises et non à la loi. Vous ne croyez pas à la possible auto-régulation du privé ?

Non, je crois que la loi doit encadrer la négociation collective. Je ne crois pas que le fort et le faible, et c’est une position politique majeure, puissent discuter d’égal à égal dans une négociation… surtout quand il s’agit de la rémunération du faible. C’est le rôle de la loi.

« Je vous rappelle que notre démocratie repose sur un principe simple, c’est que « nul n’est censé ignorer la loi ». Or, tout le monde ignore ces lois puisqu’elles sont innombrables et ont changé en permanence. »

Vous définissez la mandature Sarkozy comme ayant marqué un remplacement de l’élite des grands corps issus de la méritocratie, par celle de l’argent. Mais ces grands corps ont toujours été ceux d’une certaine aristocratie et des grandes familles ?

Là-dessus, vous avez raison. Mais vous pointez les origines sociales des uns et des autres, alors que moi je vous parle d’une hiérarchie des valeurs dans la réussite. Sur l’origine sociale, je suis le premier à déplorer l’absence d’une diversité de profils et de cultures. Je ne parle pas que des ouvriers. Par exemple, la culture de l’entreprise n’est pas du tout représentée dans les grands corps de l’État, et c’est probablement une difficulté que rencontre notre pays. Mais là, ce dont on parle, c’est autre chose. Je me permets d’insister, parce que cette espèce de monstration permanente d’un certain nombre d’éléments de richesse, les Ray Ban, le Yacht, l’épouse top model, n’est pas seulement de la vulgarité, c’est la volonté de remplacer les valeurs référentielles de la France, par d’autres, qui sont celles de l’exhibition de la réussite à travers le seul argent.

Votre thèse s’appuie finalement sur la destruction des acquis républicains français au profit d’une conception purement anglo-saxonne et individualiste de la société ? Mais finalement, en quoi les USA seraient moins une démocratie respectable que la France ? Vous êtes anti-américain primaire ?

Je ne pense pas que ça soit moins respectable. Je dis que, d’une part, ce n’est pas notre culture, d’autre part, que le Président Sarkozy n’avait pas été élu pour ça, c’est tout. Ces valeurs peuvent se défendre, elles peuvent être l’objet d’un programme politique, mais ce n’était pas ce qui était prévu, ce n’est pas ce qu’on nous a dit, ce n’est pas ce qu’on nous a vendu et c’est pourtant ce qu’on a tenté d’appliquer. Et si le président Sarkozy n’a pas été réélu, c’est justement parce que la greffe n’a pas pris.

« Dans le système américain, le pauvre sans défense, sans moyen, va être broyé par la machine. C’est un système accusatoire et je considère qu’il ne doit absolument pas être transféré en France. »

Pour rester aux USA, vous parlez de la justice américaine comme d’une justice de riches 1°) pouvez-vous préciser 2°) On a vu, notamment dans les procès liés à des fraudes sur les grandes entreprises, comme lors de la crise, voire dans l’affaire DSK, que la justice américaine est finalement moins tendre avec la délinquance en col blanc que la justice française, non ?

C’est tout à fait juste, mais je ne pense pas que ce soit contradictoire. Quand je dis justice de riches, je ne parle pas d’un justice qui est clémente avec les riches, mais d’une justice où il faut être riche pour se défendre. Vous prenez l’affaire DSK. L’employé en question n’avait aucun revenu (Nafissatou Diallo, avait quand même les revenus de son travail. NDLR…), mais elle avait une autre forme de richesse par ce qu’elle allait potentiellement obtenir à terme, ce qui lui permettait de financer sa défense.

Dans le système américain, le pauvre sans défense, sans moyen, va être broyé par la machine. C’est un système accusatoire et je considère qu’il ne doit absolument pas être transféré en France. Je suis très favorable au système inquisitoire, même s’il a des défauts. Et on le voit dans les affaires politico-financières, dont j’ai le sentiment que vous voulez maintenant me parler. S’il n’y avait pas le juge d’instruction, ces affaires ne sortiraient pas.

Vous dites que, finalement, ce qui a eu raison du sarkozysme c’est l’immanence de l’État… Cette notion est-elle à prendre en compte aujourd’hui, bien que sous un autre angle, dans l’affaire Tapie / Lagarde, que vous avez été l’un des premiers à dénoncer ?

L’immanence de l’État ? C’est une très bonne question ! Je vous félicite (sourire) parce que c’est globalement l’un des problèmes de l’affaire Tapie. La question qu’on se pose, c’est pourquoi l’État, qui a le temps, à l’inverse d’une personne humaine, comme Bernard Tapie qui, incontestablement fait partie de cette catégorie, va accélérer une procédure et favoriser la personne qui lui est opposée ? Ainsi, l’État court-circuite sa propre immanence. La question qui se pose est : pourquoi l’a-t-il fait ? Est-ce pour favoriser la partie qui lui est opposée ? C’est, je pense, l’hypothèse la plus vraisemblable, sur laquelle travaillent les juges d’instruction aujourd’hui.

« Le problème, c’est pourquoi l’État, qui était très favorablement orienté dans la procédure judiciaire classique, a tout d’un coup décidé d’écarter cette procédure au profit de cette justice privée qui n’est pas du tout adaptée à ce type de litiges. C’est sans précédent dans l’histoire de l’arbitrage. Enfin, pas tout d’un coup… Il a fallu que Nicolas Sarkozy soit élu. C’est cela le fait marquant. »

Pour vous, cette affaire : est-elle symbolique de Bernard Tapie et de ses mœurs habituelles, de la présidence précédente, où plutôt de l’époque de l’immédiateté et du paraître ?

J’ai donné beaucoup d’interviews sur cette affaire et on ne m’a jamais posé des questions aussi intéressantes. Je répondrai de deux manières. Tout d’abord, cette affaire représente une certaine époque. Tapie, c’est 20 ans d’histoire politico-financières de la France. Ça commence en 1992 et nous sommes en 2013. La durée de cette affaire s’explique par les complaisances, sinon les complicités, politiques, de gauche comme de droite, pendant toute cette période et tout le monde le sait aujourd’hui.

Cette affaire est représentative d’une certaine forme de déliquescence de nos institutions, ça c’est absolument certain. Le deuxième point, est que Bernard Tapie n’est pas le problème. Je le dis depuis 5 ans, le problème n’est pas que Bernard Tapie ait voulu aller à l’arbitrage, puisque c’était son intérêt. Le problème, c’est pourquoi l’État, qui était très favorablement orienté dans la procédure judiciaire classique, a tout d’un coup décidé d’écarter cette procédure au profit de cette justice privée qui n’est pas du tout adaptée à ce type de litige. C’est sans précédent dans l’histoire de l’arbitrage. Enfin, pas tout d’un coup… Il a fallu que Nicolas Sarkozy soit élu. C’est cela le fait marquant. Parce que le Ministre des Finances précédent, Thierry Breton, avait refusé de résoudre ce litige par la voie de l’arbitrage.

Vous avez employé le terme « illégal » concernant l’arbitrage, ce qui vous a valu un procès de la part de Bernard Tapie – que vous avez par ailleurs gagné. Que l’on trouve la procédure hasardeuse, d’accord, que l’on y voit des arrières pensées au regard du Président Sarkozy, pourquoi pas, mais en quoi, en termes de droit, ce recours est-il illégal ?

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J’ai employé le terme illégal et j’ai même ajouté frauduleux, au sens civil. Effectivement, Bernard Tapie a pris ombrage de l’emploi de ces deux termes et il m’a attaqué en diffamation. Il s’est retiré et je l’ai attaqué à mon tour, en abus de constitution de partie civile. C’est absurde parce que moi je n’ai rien contre Bernard Tapie. Je ne le connais pas, je ne l’ai jamais rencontré et, encore une fois, je dis partout qu’il n’est pas le problème. Mais cette procédure est terminée, on n’en parle plus.

Illégal, je peux vous l’expliquer très simplement. D’abord, je peux vous dire que tout le monde le savait. A Bercy, au moment où la décision a été prise, toutes les études juridiques qui avait été menées, aussi bien en interne, par les services, que celles menées en externe par les avocats, disaient qu’en l’état du droit français de l’époque, c’est à dire de l’article 2060 du code civil, le CDR n’avait pas le droit de recourir à l’arbitrage. Tout le monde le savait si bien qu’en février 2007, il y a eu une tentative pour faire passer un amendement dans la loi sur les tutelles pour, précisément, valider ce type d’arbitrage pour les personnes morales de droit public, comme le CDR. Et cette loi est votée et sera invalidée le 1er mars 2007 par le Conseil constitutionnel, présidé par Pierre Mazeaud, qu’on va retrouver 8 mois plus tard comme président du Tribunal arbitral dans cette affaire.

Cette affaire aurait pu ne jamais sortir, en fait ?

Il s’en est tenu à un cheveux que cette affaire s’arrête. Et à de multiples reprises. Le 28 juillet 2008, quand la Ministre des Finances annonce qu’elle ne fera pas de recours contre la sentence, tout le monde pense que c’est terminé. Ensuite, il y a les auditions devant la Commission des finances qui ne débouchent pas sur une commission d’enquête. On pense encore que c’est terminé. Après, il va y avoir la Cour des Comptes qui va se saisir du dossier et qui va rendre un rapport absolument accablant sur les conditions de cet arbitrage.

Mais il ne se passe rien. Et puis, il s’est passé deux choses. D’une part, le Procureur général près la Cour de Cassation a saisi la Cour de justice de la République dans un réquisitoire extrêmement sévère. Donc la Cour de justice va être saisie. Il va y avoir des manipulations dans tous les sens pour éviter qu’elle se prononce, que la Commission d’instruction enquête sur madame Lagarde. Et puis, le deuxième événement qui va se produire, c’est pas un secret, c’est l’alternance politique.

Y aurait-il eu d’abord des instructions pour ralentir l’affaire et, sous la présidence Hollande, d’autres pour l’accélérer au contraire ? Il s’agirait d’une autre forme d’atteinte à la séparation des pouvoirs, non ?

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Pourquoi l’alternance politique a-t-elle permis d’accélérer les choses ? Oui, on pourrait se dire : « parce que tout d’un coup, on a des juges qui travaillent aux ordres et cette affaire embarrasse le pouvoir précédent. » En réalité, c’est exactement le contraire. L’alternance politique fait que les juges qui ne pouvaient pas travailler sous le régime précédent, peuvent enfin travailler… Et le 18 septembre 2012, le Procureur de Paris a converti son enquête préliminaire en information judiciaire, trois juges d’instruction ont été nommés et maintenant ils enquêtent. Et en enquêtant ils ont des résultats et trouvent des choses.

Justement, vous êtes juriste, professeur de droit, notoirement proche d’Arnaud Montebourg, dont vous dirigiez le comité de soutien à la primaire. On pourrait se poser des questions d’éthique sur votre regard, non ?

Tout d’abord, c’est plus que ça, j’ai été le directeur de toute la pré-campagne d’Arnaud Montebourg, mais je suis proche d’autres ministres du gouvernement. Je suis proche de la gauche, disons-le.

« Je crois qu’il y a un point que personne ne conteste, c’est que la Justice est redevenue indépendante depuis que François Hollande a été élu Président de la République. »

Oui, mais justement, pouvez-vous comprendre la défiance du politique à votre égard comme à celui des juges, et particulièrement de la droite ?

Je crois qu’il y a un point que personne ne conteste, c’est que la Justice est redevenue indépendante depuis que François Hollande a été élu Président de la République. Je crois que c’est très clair. Sous Nicolas Sarkozy, la Justice essayait d’être indépendante, mais elle avait beaucoup de mal et en particulier le Parquet et ses représentants les plus emblématiques ont connu des difficultés. Je crois que ça c’est incontestable.

Il n’y aura plus de procureur Courroye dans cette mandature ?

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Pour l’instant ce n’est pas le cas et je souhaite que ça continue, parce que, si la gauche faisait aussi mal que la droite ce serait à désespérer. Il me semble que la magistrature et, d’une manière plus générale, le monde du droit, a été un de ceux qui a été le plus offensé par le quinquennat Sarkozy, qui a méprisé le droit avec ses lois à répétition, qui a méprisé les magistrats en les traitant de petits poids et avec les peines planchers etc…

Donc, le monde du droit avait besoin de respiration et elle a été offerte par François Hollande qui, je le crois, ne contrôle absolument aucune enquête et qui a une vision tout à fait indépendante de la Justice. Vous savez, j’ai participé à sa campagne, notamment avec le Sénateur André Vallini, sur les questions de justice, puisque c’est lui qui a théorisé le programme de François Hollande sur ces questions. Alors, on peut toujours dire de l’autre côté, comme je l’entends dire à mon égard : « ce sont des gens de gauche, c’est une politique de gauche… ». Je crois que d’abord la magistrature n’est pas fondamentalement de gauche. Le syndicat majoritaire, qui s’appelle l’USM, est modéré, neutre sur le plan politique. Alors évidemment, il a contrecarré les plans de la mandature Sarkozy, il a résisté de manière exemplaire. Mais ce n’est pas parce qu’il a résisté qu’il est de gauche. Il a résisté au sarkozysme par esprit républicain… On y revient.

Dans la démocratie française et son état de droit : peut-on parler de ces affaires au plus haut niveau sans faire l’objet de menaces, sachant que vous en avez été victime ?

Il y a toujours des gens qui sont là pour vous menacer, publiquement ou non… Quand on prend des positions publiques, c’est un risque qu’on encoure, c’est inévitable… C’est comme ça. C’est dommage, mais c’est comme ça…

POUR ALLER PLUS LOIN

Les lois du pacte républicain

Le pacte républicain ? Derrière ce terme on pourrait voir la trace directe de la Révolution Française, mère incontestée de la République. Pourtant, pour l’essentiel, comme le précise Thomas Clay, ce pacte est le fruit des grandes lois inspirées par Clemenceau, tout autant que de celles nées du programme du CNR, quand la France, traumatisée par la seconde guerre mondiale et le régime de Vichy, a dû repenser ses institutions, tout autant que certaines grandes valeurs et principes fondant la nation.

Parmi ces lois qui furent directement visées par le quinquennat de Nicolas Sarkozy, on peut citer :

Période Clemenceau (première période de Gouvernement 1906/1909) :

  • La première loi visée, portée par Aristide Briand, dépend en réalité du cabinet précédent, dirigé par Maurice Rouvier : Il s’agit de la fameuse loi de séparation des Églises et de l’État, en date du 9 décembre 1905 ;
  • Loi organisant la protection des sites et monuments naturels de caractère artistique, en date du 21 avril 1906 ;
  • Loi sur les distributions d’énergie, en date du 15 juin 1906 ;
  • Loi sur le repos dominical, en date du 13 juillet 1906 ;
  • Loi sur la liberté de réunion publique, en date du 28 mars 1907 ;
  • Loi réglementant les jeux dans les casinos, en date du 15 juin 1907 ;
  • Loi d’étatisation de la police, en date du 8 mars 1908 ;
  • Mais également la Charte dite d’Amiens, du 9ème Congrès de la CGT, en date du 13 octobre 1906.

Programme du CNR :

  • Ordonnance sur l’enfance délinquante, en date du 2 février 1945 ;
  • Ordonnance fixant les prix, en date du 30 juin 1945 ;
  • Ordonnance sur la nationalité, en date du 2 octobre 1945 ;
  • Ordonnance instituant la Sécurité sociale, en date du 4 octobre 1945 ;
  • Ordonnance sur la Direction Générale de la Fonction Publique, en date du 9 octobre 1945 ;
  • Préambule de la constitution de 1946 ;
  • Loi portant statut de la fonction publique, en date du 19 octobre 1946 ;
  • Loi sur le statut des entreprises de groupage et de distribution des journaux, en date du 2 avril 1947 ;
  • Loi portant organisation du travail de manutention dans les ports maritimes et de navigation, en date du 6 septembre 1947.

B.Sire

Bernard Tapie : vingt ans après

L’affaire de l’arbitrage Tapie-Crédit Lyonnais commence il y a vingt ans. En 1992, ministre de la ville de François Mitterrand, Bernard Tapie est contraint de vendre Adidas. Il fait appel au Crédit Lyonnais pour monter la transaction. L’année suivante, le Crédit Lyonnais frôle la faillite, avec des pertes de 130 milliards de francs. Ses actifs à risque sont versés dans le Consortium de réalisation (CDR) et quelques mois plus tard, Bernard Tapie est mis en faillite. En 1996, il écope d’une peine de prison 8 mois ferme dans le cadre de l’affaire VA-OM. Une longue et complexe bataille judiciaire s’engage alors entre le CDR et le mandataire liquidateur de Bernard Tapie Finance.

Le conflit trouve une issue le 25 octobre 2007 quand le CDR et Bernard Tapie acceptent de passer par un tribunal arbitral. Ce dernier condamne le 7 juillet 2008 le CDR à verser 400 millions d’euros à Bernard Tapie, dont 45 millions à titre de préjudice moral. La sentence est fondée principalement sur le fait que, lors de la vente d’Adidas, la banque a employé un montage offshore lui permettant de dégager une plus-value de 396 millions d’euros, sans en avertir son client. Cette version d’un préjudice originel est en soi plutôt fragile. La décision a tout de suite choqué, certains évoquant un arrangement entre l’Élysée et l’homme d’affaires.

La justice a mis un certain temps à s’emparer du sujet. Les premières contestations sont d’abord politiques : en septembre 2010, le président de la Commission des finances à l’Assemblée nationale… Jérôme Cahuzac, évoque pour la première fois la volonté d’entendre Christine Lagarde, ministre de l’économie et des finances en 2007-2008, au moment où la procédure d’arbitrage a été mise en œuvre. La Cour de Justice de la République (CJR), seule habilitée à juger un membre du gouvernement, est saisie en mai 2011 à l’encontre de la ministre, qui s’apprête en fait à être nommée à la tête du FMI.

Et surtout, depuis la victoire de la gauche en 2012, le pôle financier de Paris enquête. Les instructions de l’Élysée seraient, d’après le Canard Enchaîné, de récupérer l’argent versé, de poursuivre les seconds couteaux, mais d’épargner la ministre.

Les juges sont convaincus qu’il existait dès février 2007 un accord secret entre Sarkozy et Tapie dont témoignerait une lettre. La proximité entre un des arbitres, Pierre Estoup, et Bernard Tapie semblerait remonter à au moins 1998 et constitue un des éléments clés du dossier.

Mis en examen, Stéphane Richard, PDG d’Orange et ancien directeur de cabinet de Christine Lagarde, a impliqué son ancienne patronne, et surtout, lâché le nom de Claude Guéant, secrétaire général de l’Élysée de 2007 à 2011. Des réunions à la présidence en 2007 auraient préparé l’arbitrage. Il est difficile de croire que les collaborateurs de la ministre et du président n’agissaient pas sur ordre. Bernard Tapie et son avocat, Maurice Lantourne, sont passés par la case garde à vue, 92 heures tout de même pour Nanard, et viennent, vendredi 28 juin 2013 d’être mis en examen pour escroquerie en bande organisée.

P.Tantale

Il est à noter que cet entretien a été réalisé le jour même où Stéphane Richard a été placé en garde à vue, et finalisé au moment où Bernard Tapie l’était également.

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